5 décembre 2009
Domaine de Châteauvieux / Genève
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MAGNUM CHAMPAGNE DOM PERIGNON 1990 (*****)
Arômes parfaitement développés.
Elégance et ampleur.
Notes de pain grillé et de beurre fondu.
L’attaque est volumineuse, avec du gras.
La bulle est fine mais dense.
La superbe acidité procure une grande fraîcheur en finale.
La structure de base le rend très « vineux ».
Grand sujet avec du potentiel encore.
CHAMPAGNE KRUG COLLECTION 1973 (**)
Les arômes indiquent une grande base un peu « diminuée ».
On y retrouve de la noix et du bois noble.
Une petite oxydation y rajoute une note de cidre.
Le vin est vif grâce à une haute acidité.
L’ensemble, bien qu’agréable, a un peu lâché prise.
On devine bien une bouteille un peu déficiente.
HEIDSIECK & CO MONOPOLE 1907
GOÛT AMERICAIN (*****)
Sauvé des eaux
Le 3 novembre 1916, le Jönköping vogue sur la Baltique avec un bagage précieux:
des barils de Cognac, des tonneaux de Bourgogne et 50 caisses « bien fermées » de
100 bouteilles de Champagne Heidsieck & Co Monopole 1907. Cette cargaison est
destinée au Tsar Nicolas II et à son Armée Impériale. La Maison Heidsieck est
fournisseur officiel de ce fort bon client: 250’000 bouteilles avaient été livrées en
1910 et 1911. Une torpille allemande expédie le vaisseau par 64 m. de fond pour
82 ans! Le tombeau est en fait une cave idéale, parfaite. En ces lieux, il n’y a
quasiment pas de vie végétale, l’obscurité y règne et la température demeure
constante entre 2 et 4 degrés. La pression de l’eau maintient les bouchons bien
en place, et préserve ainsi le gaz carbonique.
Claes Bergvall et Peter Lindberg repèrent la carcasse en 1997 et en remontent
quelques bouteilles dont la qualité évidente attire les amateurs et fait « mousser »
l’affaire. Le 14 juillet 1998, après quelques péripéties, le bateau est enfin hissé
à la surface. Bourgogne et Cognac sont perdus. Mais on estime à un peu plus
de 2’000 le nombre de bouteilles sauvées auxquelles on rajoute dès leur
émersion un manchon de protection en caoutchouc.
Superbe couleur jaune or.
Arômes iodés d’une finesse extrême, avec des notes de miel et
de pâte de fruits.
Le vin est d’une grande jeunesse.
L’attaque est onctueuse, charnue et dense.
La très fine bulle, plus rare que dans un Champagne jeune, est suffisante
pour former une belle mousse en bouche.
La douceur se devine plus qu’elle ne se ressent: on pense à un glycérol
très marqué.
Cette « rondeur » enrobe du début à la fin une très haute mais superbe acidité
« acidulée » de citron vert confit.
On pense à du Riesling allemand avec ses notes minérales typiques.
La persistance est très longue.
1907 a subi un climat peu favorable à la maturation, mais le rendement fut faible.
Cette cuvée a donc reçu un dosage à l’américaine très élevé « pour compenser ».
L’analyse indique à l’heure actuelle 42 gr. de sucre résiduel et 12.4% d’alcool.
La surface du bouchon (pas le bas!) sentait littéralement l’huître.
C’était grandiose!
ASTEROÏDE, DIDIER DAGUENEAU 2002 (****)
Un Sauvignon très pur et équilibré, tout sur le fruit.
C’est un cas d’école à ce sujet.
Avec temps, il deviendra plus complexe.
ASTEROÏDE, DIDIER DAGUENEAU 1998 (****)
Arômes de groseille à maquereau et de bourgeon de cassis très mûr, avec
une touche fumée.
On devine une haute maturité de récolte.
Le vin est riche et rond.
C’est un parfait Sauvignon d’une grande fraîcheur finale due à l’acidité et
au minéral du terroir. Cristallin et pur.
ASTEROÏDE, DIDIER DAGUENEAU 1995 (****)
Nez de récolte très mûre avec des arômes tertiaires naissants.
Le caractère est vraiment marqué. On y retrouve à nouveau une minéralité
grandiose.
Vin solide, riche et concentré. On sent même un alcool qui chauffe le palais
en finale. L’acidité élevée donne du tonus à l’ensemble.
La force et la structure de ce vin lui octroient un grand potentiel.
CHATEAU LA MISSION HAUT BRION 1945 (?)
(en magnum)
Normalement, Mission 1945 est très grand.
Mais ce flacon contient une dose d’acidité volatile un peu plus élevée
que la norme acceptable.
On ressent quand même la formidable concentration du millésime et
la noblesse du terroir.
Les notes tertiaires sont remarquables.
CHÂTEAU HAUT-BRION 1934 (*****)
La couleur est d’un rouge bien foncé.
Les arômes expriment une personnalité forte, absolument inébranlable.
On part sur le café, le cuir et le bois doux.
Le vin est très concentré, avec des tanins qui donneraient des cauchemars
à un jeune oenologue.
L’acidité finale procure heureusement de la fraîcheur à cet ensemble plus
baroque qu’exubérant.
Quelle force il a encore!
Un millésime grandiose, d’un style peu ordinaire.
CHATEAU LA MISSION HAUT BRION 1982 (*****)
Au nez, le caractère et l’élégance du Mission dans les plus grands millésimes
s’expriment majestueusement.
La bouche est marquée par une densité extraordinaire.
Le fruit est jeune et vigoureux.
On ressent aussi des notes de tabac, de cuir et d’épices.
Le gras équilibre la superbe acidité et les tanins très nobles.
Les composantes sont taillées pour durer encore des décades.
La persistance est vraiment interminable.
CHATEAU CHALON, LEON FLORIN 1929 (****)
Couleur jaune un peu bruni.
Arômes de noix et de fleurs jaunes.
L’ensemble est fin et dense.
En bouche, l’acidité élevée du vin est fort heureusement « arrondie » par
un beau glycérol.
C’est un pléonasme de dire qu’un Château Chalon de 1929 est encore
d’une grande jeunesse.
La finale est équilibrée et très longue.
CHÂTEAU LAFITE 1789 (****) (rebouché en 1983)
Couleur rouge clair d’une grande brillance, pratiquement sans brunissement.
Nez de pure dentelle, un peu « fourrure fine » avec de la fraise des bois juste
écrasée. Une touche fumée avec du bois doux s’y mêle.
On s’imaginerait facilement être devant un Bourgogne délicat.
L’attaque, sur les fruits rouges, est voluptueuse avec beaucoup de glycérol.
Curieusement, le vin ne semble pas aussi léger en alcool que ce que l’année
(ou la période) aurait pu le faire penser, mais il n’est pas puissant ou consistant
comme les vins actuels.
L’ensemble est très cohérent et équilibré. La finale est marquée par une belle
acidité mêlée à des notes de racines, comme s’il y avait eu un peu de macération.
Ce vin possède ainsi l’étonnante aptitude à retransmettre en même temps des
aspects de finesse et de rusticité!
L’année 1789 fut désastreuse climatiquement parlant (ce qui conduisit à la
Révolution). Il est donc extraordinaire de pouvoir boire un vin de cette année-là
aussi bon et bien tenu. Certains pensent qu’à cette époque on procédait à des
« bonifications » qui ne sont plus usitées de nos jours.
J’avais laissé du vin dans mon verre durant environ trois heures en vue de faire
des photos. Il n’avait absolument rien perdu de ses qualités lorsque je l’ai terminé.
CHÂTEAU D’YQUEM 1811 (*****) (rebouché en 1987)
Couleur bien ambrée et orangée, très limpide.
Le nez se révèle d’une finesse incomparable et d’une infinie complexité.
On ressent du caramel au lait, de la crème brûlée, de la cire de parquet,
du pain d’épice, du thé froid….les notes minérales se développent plus
tardivement, pour couronner l’édifice impérial.
L’énorme concentration du vin va de pair avec son équilibre. Mais il n’y a
aucune lourdeur.
L’acidité est celle des Riesling allemands avec une merveilleuse minéralité
accompagnée par de la feuille de menthe et du quinquina.
La douceur de sucre candi est bien présente, mais n’atteint de loin pas celle
d’un Yquem 1967 par exemple.
Un vin de génie qui mérite de rester au panthéon.
PORTO QUINTA DO NOVAL NACIONAL 1931 (*****)
Couleur rouge acajou dense et profond.
Il faut le boire pour le croire!
La force qui se dégage de ce vin est phénoménale.
Elle s’exprime quasi violemment, mais qui ne prendrait pas plaisir à
une telle violence?
Finesse et complexité absolues.
Notes de cerises rouges et noires, avec de la vanille bourbon.
L’amplitude de bouche est hors norme.
La douceur alliée au fruit charnu est une vague onctueuse qui flatte
interminablement le palais.
Le rêve éveillé!
L’ouverture se fait à la pince chauffée à rouge.
Le choc thermique brise net le bouleau.
SIRACUSA G. BONANNO 1850 (*****)
Couleur ambrée, très sombre. Arômes fins et très
développés de caramel et d’orange amère. L’acidité
volatile est parfaite, car elle ne fait que de renforcer
arômes et goûts. On devine le cépage Muscat par
une légère touche aromatique accompagnée par de
la feuille de menthe fraîche. L’acidité est affolante.
Elle « excite » le palais, mais une angélique douceur
de sucre candi l’enrobe avec une grande sensualité.
La finale, d’une longueur exceptionnelle, est marquée
par de la feuille de menthe, de l’écorce d’orange et
de fines herbes aromatiques.
Ce Siracusa 1850, vin de haute renommée à son époque et devenu quasi
introuvable, est l’une des plus grandes fiertés des très rares collectionneurs
au monde à en
posséder une bouteille.
Le Moscato di Siracusa, d’après l’historien et oenologue Saverio Landolina Nava (1743-1814),
pourrait être identifié à l’antique ‘Pollio’ de Syracuse, provenant du raisin ‘Biblia’ (des monts
‘Biblini’, en Thrace) qui fut implanté dans ce terroir par Pollis, mythique tyran de la cité. S’il en
était ainsi, ses origines dateraient des VIII-VIIèmes siècles av. J.-C., et le Moscato di Siracusa
pourrait être considéré comme le plus vieux vin d’Italie. Aujourd’hui, bien qu’en quantités
réduites, ce vin est produit dans le territoire de la commune de Syracuse avec des raisins
de Moscato Bianco soumis à un léger passerillage.
CHÂTEAU SUDUIRAUT 1899 (*****)
Couleur ambre sombre.
Arômes de sucre brûlé, de vanille et de zeste d’orange.
Vin d’une rondeur parfaite: c’est une sphère qui roule dans notre palais.
Bien qu’il y ait beaucoup de sucre, le palais est plus marqué par le quinquina
et les écorces d’agrumes lors de la très longue finale.
Ce Suduiraut 1899 n’est pas inférieur à l’Yquem du même millésime.
CONCLUSIONS
Mon ami Pierre Chevrier, que je remercie ici, a imaginé et réalisé une trilogie bachique
historique dédiée aux vins, aux hommes, aux terroirs et aux événements qui ont
marqué notre Europe depuis 1727.
Ce furent trois sensationnelles « DIONYSIES« :
– 6 décembre 2003 avec l’élément vital
– 9 décembre 2006 avec l’élément musical
– 5 décembre 2009 avec l’élément temporel.
Dans la série des Champagne, le HEIDSIECK & CO MONOPOLE 1907 GOÛT
AMERICAIN est une révélation. Son immersion de 82 années dans un milieu
favorable et particulier lui a permis de développer des qualités qui ne seraient
pas apparues dans des circonstances normales.
Sans être mon plus grand Champagne, c’est quand même un de mes préférés.
Le fameux et introuvable ASTEROÏDE DIDIER DAGUENEAU est
indubitablement un des meilleurs Sauvignon du monde. Personnellement, je le
trouve un peu trop marqué par les caractéristiques de son cépage.
Le HAUT-BRION 1934 enthousiasme les amateurs de fortes sensations
gustatives. Ce millésime possède une personnalité parmi les plus fortes.
MISSION HAUT BRION 1982 est un fantastique vin « adolescent ».
Le CHÂTEAU CHALON 1929 LEON FLORIN fait partie des meilleurs vins
jaunes que l’on puisse déguster.
Boire un LAFITE 1789, année de la Révolution française, est un événement
oh combien marquant dans la vie d’un oenophile. Ce vin d’autrefois, comme
beaucoup d’autres vins plus que centenaires, ne semble pas « vieux » mais
provenir tout simplement d’un autre monde. Les sensations perçues
nous y font voyager tout en nous apportant un réel plaisir.
Posés devant la plaquette de l’événement:
Lafite 1789, Yquem 1811, Noval Nacional 1931 et Siracusa 1850
YQUEM 1811 est glorieux. S’il en reste dans cent ans, il sera toujours glorieux.
Cette bouteille présentait beaucoup de similitudes avec une autre bue en décembre
2005 (arômes, acidité, minéralité). Mais la couleur était plus ambrée et plus orangée.
La douceur semblait plus marquée aussi. On doit se rappeler que le vin était mis en
bouteilles tonneau par tonneau.
Le PORTO QUINTA DO NOVAL NACIONAL 1931 semble former à lui seul une
catégorie de vin. Il y a les « Porto » et il y a le « Nacional 1931 ».
C’est un rêve gustatif. Toutes les qualités peuvent lui être attribuées.
Le SIRACUSA 1850 G. BONANNO entre dans la catégorie restreinte des grands
vins méconnus, et pour cause! Avoir la chance d’en déguster enrichit l’amateur
d’une expérience unique et bien différente de celle qu’il aura avec les vedette
mondiales actuelles. Il prouve que le Muscat a depuis longtemps été reconnu
pour produire des liquoreux sublimes. Grâce à la sur maturation, ce cépage
perd ses aspects rustiques et exubérants.
SUDUIRAUT 1899 est très grand. S’il peut être considéré comme l’égal
qualitatif de l’Yquem 1899, il s’en différencie fortement au niveau du caractère.
Ces vins exceptionnels furent agrémentés d’un repas de haut vol exécuté
par Philippe Chevrier au Domaine de Châteauvieux à Genève.
Deux bouteilles ouvertes n’ont pas été commentés car elles présentaient des
défauts notoires: Champagne Dom Pérignon Oenothèque 1973
et Château la Mission Haut Brion 1918.