Restaurant Lung King Heen / Hôtel Four Seasons / Hong Kong
9 février 2012
La chance me fut donnée de participer à un extraordinaire repas-dégustation organisé
à Hong-Kong par la célèbre maison Christie’s le 9 février 2012.
L’événement était mis en place conjointement à la vente aux enchères (le lendemain)
d’une grande série de vins du mythique vigneron Henri Jayer.
Cette vente a atteint des records inégalés pour l’ensemble des 102 lots présentés,
avec en vedette le fameux Richebourg 1978.
Quelques privilégiés, 7 « occidentaux » et 7 « asiatiques », ont eu l’honneur de goûter
à 10 bouteilles d’Henri Jayer.
Les vins escortaient un menu à consonance locale servi dans une salle privée du
restaurant considéré par beaucoup comme le meilleur de la ville, le Lung King Heen.
Je fus comblé autant par les accords gastronomiques que par la qualité des mets.
Chaque cru fut apprécié à sa juste valeur car, il faut l’avouer, les palais étaient méritants.
Les convives expérimentés ont commenté les vins avec pertinence. Les amateurs
autochtones m’ont beaucoup impressionné par leurs très vastes connaissances de la
dégustation, des vins présentés et du vignoble bourguignon.
Pour toutes les photos de ce site
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VOSNE-ROMANEE HENRI JAYER 1992 (****)
Couleur un peu tuilée.
Nez de fruits surmûrs, sur la fraise ou la framboise.
La pureté est là, mais on devine une nature assez « moyenne » à la base.
Vin rond et velouté à l’attaque: on s’approche de la sensation sucrée.
Une note giboyeuse (fourrure) lui donne de la personnalité.
La finale est marquée par une fraîcheur étonnante pour le millésime,
mais il y a certainement un soupçon d’acidité volatile qui renforce la sensation.
L’ensemble est très plaisant.
La maturité du vin est bien atteinte.
Henri Jayer a transcendé la matière par son génie.
VOSNE-ROMANEE 1ER CRU BEAUMONTS
HENRI JAYER 1980 (*****) (magnum)
Couleur rouge rubis peu dense mais d’une grande limpidité.
Nez de fraise écrasée avec des notes tertiaires d’humus.
Vin de caractère avec de la densité, mais aussi avec de l’alcool et des
tannins un peu rustiques au départ.
Une heure après, le vin se transforme et tout s’harmonise comme par
enchantement.L’alcool se fait discret au profit de la concentration du fruit
qui devient de plus en plus jeune. Les composantes s’équilibrent
parfaitement et le caractère s’anoblit.
On jouit finalement d’un vin racé et classique, sans défaut.
VOSNE-ROMANEE 1ER CRU LES BRULEES
HENRI JAYER 1976 (*****) (magnum)
Arômes d’une plénitude exceptionnelle.
Le caractère est noble et fin avec une touche minérale fumée.
Le vin est très expansif, voire baroque. Il est très « construit » au niveau
de la substance de bouche. Les tannins sont fortement constitués.
L’ensemble est racé et aristocratique avec encore un beau potentiel de garde.
Le nom du terroir « les Brûlées » ne fut pas choisi par hasard. On sent que le
soleil a concentré et bien mûri le raisin, surtout sur ce millésime sec et chaud.
1976 ne fut pas facile pour tous, mais Henri Jayer a fait parler son expérience
et son doigté.
NUITS-ST-GEORGES 1ER CRU LES MEURGERS
HENRI JAYER 1976 (*****) (magnum)
Nez somptueux avec une énorme ampleur.
On ressent un fruit surmûr mais parfait dans son élégance et
sa noblesse.
Le vin est d’une étonnante jeunesse malgré la maturité et la
rondeur de son fruit.
Sa texture est de la vraie soie.
La finale, interminable, est marquée par un fruité vif et frais.
Il peut voir l’avenir avec sérénité.
ECHEZEAUX HENRI JAYER 1993 (*****)
Le nez indique sans détour le vin de haute dimension avec
une complexité digne de sa noble naissance.
Le fruit (cerise et framboise) est accompagné par des notes
de moka et de gibier (fourrure).
Le vin est une perfection d’équilibre même s’il est très concentré.
La texture est autant ferme que soyeuse.
Un cru extraordinaire, encore bien trop jeune.
ECHEZEAUX HENRI JAYER 1991 (*****)
(magnum)
Les arômes présentent des notes fines au niveau du fruit et un
peu de rusticité au niveau du caractère.
La minéralité est bien présente.
Le vin donne une impression quasi sucrée à l’attaque.
L’évolution en bouche offre ensuite un vin corsé et bien soutenu
en alcool.
La trame est serrée.
A nouveau, Henri Jayer a réussi à donner une véritable dimension
à ce vin issu d’un millésime que certains ont eu beaucoup de peine
à maîtriser.
ECHEZEAUX HENRI JAYER 1985
Bouteille bouchonnée, mais pas violemment.
On a donc pu deviner que ce vin était grand et somptueux.
On sentait une base de grande envergure avec beaucoup d’harmonie.
Dommage.
VOSNE-ROMANEE CROS-PARANTOUX
HENRI JAYER 1993 (*****)
Le nez est une vraie dentelle faite pour le plaisir.
Voilà le Pinot Noir dans toute sa splendeur sur un terroir d’exception.
Le vin est parfaitement équilibré avec une trame serrée.
Il ne présente aucune lourdeur malgré sa forte constitution.
Sa fraîcheur finale est impressionnante.
Sa persistance indique son énorme potentiel.
Il donne l’impression d’être juste mis en bouteille!
VOSNE-ROMANEE CROS-PARANTOUX
HENRI JAYER 1985 (*****)
Un vin avant tout subtil. Au point qu’il a fallu patiemment l’amadouer pour
déceler (si possible) ses multiples facettes.
Il s’est tranquillement dévoilé avec pudeur, mais quelle récompense!
Le nez est d’une classe hors norme avec une personnalité noble et forte.
On sent un fruit rouge parfait de récolte, d’une jeunesse insolente.
Le vin est concentré….et délicat. Et oui, c’est possible!
Il ne présente encore aucun arôme tertiaire: c’est du fruit et rien que du fruit,
autant dense que fin.
Le terroir et la race du cru émergent tout de même de cette longue vague
fruitée avec un grand raffinement.
Si l’on tient compte de sa corpulence, on peut penser que ce vin est à
son sommet à l’heure actuelle. Si l’on tient compte de la jeunesse de son fruit
et de l’absence de tertiaire, on doit penser qu’il est encore beaucoup trop jeune.
Cette dégustation de Hong-Kong fut une grande réussite.
Je ne peux cependant m’empêcher de compléter ce dossier
par la présentation de trois autres crus « essentiels » qu’il me
semble important de citer et que j’ai eu la chance de déguster
à d’autres occasions.
VOSNE-ROMANEE CROS-PARANTOUX
HENRI JAYER 1990 (*****)
(dégusté en 1997 et 2001)
Un vin parfait!
Les arômes sont autant denses que fins et complexes.
On y ressent ce fameux fruit du Pinot très mûr mais pas du tout compoté
avec des notes de bois doux et de terre noire « juste remuée ».
La bouche est d’une densité extraordinaire mais rien n’alourdit le palais
qui reste frais grâce à une acidité idéale en finale.
La persistance est incroyable.
Le sujet, apte à vieillir encore sur des décennies, n’est bien entendu pas
encore à son apogée.
RICHEBOURG HENRI JAYER 1985 (*****)
(dégusté en 2004)
Quelle ampleur et quelle ouverture au nez!
Les arômes très élégants débordent du verre sans retenue.
Tout est harmonieux.Le fruit se mêle au terroir pour donner
une oeuvre magistrale.
Le vin est une douce vague fruitée qui glisse sur le palais.
L’ensemble possède les qualités apportées par le vieillissement
en bouteille en restant d’une extrême juvénilité.
RICHEBOURG HENRI JAYER 1978 (*****)
(dégusté en 1992)
Cette bouteille avait passé directement de la cave d’Henri à celle
de mon hôte.
Le souvenir des sensations ressenties est plus précis dans ma mémoire
que les quelques notes prises à cette époque.
Etonnamment, son style me rappelle plus le Cros Parantoux 1985 que
le Richebourg 1985!
Il possède en effet la subtilité et le raffinement du Cros 1985 en donnant
peut-être encore plus une sensation d’intemporalité et de perfection.
L’honneur d’avoir dégusté un tel vin est grand.
Copyright Christian Bon
CONCLUSIONS
– Ce qui impressionne avec les vins d’Henri Jayer, c’est que, même sur des millésimes
« faibles », ils ont toujours quelque-chose d’intéressant à nous divulguer. Une défaillance
laisse place à une particularité qui interpelle. Jayer ne cherchait pas à élaborer autre
chose que ce que le millésime ordonnait. Il avait le coup de patte pour améliorer un
manque sans dénaturer la base.
– Vouloir catégoriser chaque cru et en donner les particularités me semble aventureux.
Je me permets simplement de me pencher plus particulièrement sur certains crus.
– Tout le monde sait que Jayer a réussi ses 1991. Son Echezeaux le démontre à merveille.
– Les deux vins de 1976, Vosne-Romanée les Brûlées et Nuits Meurgers, m’ont procuré
un grand plaisir. Certains diraient: « enfin ouverts ». Et oui, leur plénitude de fruits et d’arômes
impressionne. Mais aussi le potentiel qu’ils ont! On sent qu’ils sont taillés pour durer encore.
– Avec l’Echezeaux 1993 et les Cros Parantoux 1993 et 1990, on atteint de très hautes
sphères. Ces vins sont marqués par une grande structure et un caractère fort. Ils sont
encore bien trop jeunes et s’imposeront sur des décennies.
Deux millésimes à considérer comme exceptionnels chez jayer.
– Avec les Cros Parantoux 1985 et les Richebourg 1985 et 1978, on est dans le firmament
du Pinot Noir et du terroir. Ces trois crus correspondent à ce que demandait Jayer des
grands millésimes: ils doivent être bons jeunes et durer des décennies.
Richebourg 1985 m’a paru le plus velouté et le plus expansif. La noblesse et la subtilité
du Cros Parantoux 1985 et du Richebourg 1978 sont marquantes. Si je devais n’en garder
qu’un seul, ce serait ce dernier. A la dégustation, ces trois crus sont « intemporels » car il est
difficile de leur donner un âge: par certains aspects on ressent le bénéfice des années de
garde (ouverture et complexité), et par d’autres aspects, on est saisi par tant de jeunesse
et de fraîcheur.
– Je n’aurai certainement plus l’occasion de déguster les 1990 et 1993 (il n’existe presque
plus de vraies bouteilles), mais je pense qu’ils pourraient bien se montrer dignes des 1985
ou 1978 dans le futur.