Un siècle et demi de grands millésimes
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1982—-1970—-1966—-1962—-1961—-1959
1949—-1945—-1928—-1870—-1865 |
Hameau de Barboron Savigny-lès-Beaune
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10 février 2006
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CHATEAU LATOUR 1982 (*****) La bouteille n’était de loin pas parfaite, je donne donc le commentaire d’une autre bue un peu après. Couleur rouge rubis profond très peu tuilé. La race des grands seigneurs saute au nez. Une grande jeunesse se dégage de cette onctueuse masse fruitée: on se croirait devant la cuve en fin de fermentation. Ce que peut donner de mieux un Cabernet dans le Médoc se retrouve dans ce vin. Tout est pur et concentré avec une grande harmonie. Le caractère viril va de pair avec la plus belle distinction. Un Latour dans la lignée de ce qu’il a toujours produit dans les très grands millésimes. |
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CHATEAU LATOUR 1970 (*****) Robe rouge éclatant, sans vieillissement. Nez de grand seigneur médocain: race, caractère et noblesse. On est marqué par un sentiment de grande force au repos: l’adolescent plein de potentiel attend son heure. Le vin est très concentré. On sent un fruit parfait de récolte. Les tannins, encore féroces, sont un peu amadoués par la densité du fruit. Ces tannins marquent longtemps le palais durant la persistance gustative, mais, étonnamment, ils ne sont pas du tout gênants car ils expriment toute la qualité du terroir de Latour et le grand millésime . Ce vin est bien entendu grandiose, mais il est encore loin d’atteindre sa plénitude aromatique et gustative. On peut considérer que 1970 est une année exceptionnelle chez Latour. C’est même peut-être le plus grand vin bordelais de ce millésime. |
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CHATEAU LATOUR 1966 (**) Couleur rouge rubis légèrement tuilé. Nez assez complexe: fruits bien mûrs (cerise noire), humus, touche de vanille, un peu de cuir… L’attaque de bouche est fort agréable, car elle révèle un fruit rond et riche. A l’évolution, on dirait qu’il se “rétrécit”: les tannins un peu rudes et une acidité élevée supplantent le fruit ressenti au départ. La finale un peu courte manque de volume . Le vin possède une certaine race, mais l’âge a diminué ses grandes qualités. Pour moi, la bouteille n’était pas parfaite. Quelques dégustateurs n’ont pas été aussi sévères. |
CHATEAU LATOUR 1962 (*****) Couleur rouge-rubis d’une belle densité. Une grande nature expansive au nez. Tout est positivement dense. Le fruit se développe pleinement avec des notes orangées. Le vin est rond, plein, exubérant. Le fruit est à croquer. C’est un régal. L’ouverture magnifie ce cru de haut vol. Vraiment un grand vin qui tiendra encore de nombreuses années. |
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CHATEAU LATOUR 1961 (*****) Magnifique couleur rouge dense et limpide. On éprouve un sentiment d’intemporalité dès que l’on hume ce vin. On dirait que cette force tranquille est inamovible. On ne peut lui donner un âge. Les arômes qu’exhalent ce vin sont envoûtants. Le fruit est très concentré et d’une pureté exceptionnelle. Quelques effluves de bois noble et d’épices fines s’y rajoutent. Le terroir est exhaussé par la concentration de la récolte et se présente au travers d’une minéralité extraordinaire. Le vin est tout simplement parfait. Le gras, la chair du fruit, les tannins et l’acidité se marient divinement. Les composantes sont extrêmement concentrées, mais à aucun moment le palais ne ressent une moindre lourdeur. Quel miracle d’équilibre! Finesse et race au plus haut niveau. La finale est époustouflante tant elle est dense et longue. Un vin d’anthologie qui se présentera comme aujourd’hui dans plusieurs décennies. |
CHATEAU LATOUR 1959 (*****) Couleur rouge très dense et profond. Bien que très différents, les arômes du 1959 sont aussi merveilleux que ceux du 1961. Du verre jaillissent d’onctueuses vagues fruitées toutes en sensualité et en fraîcheur. Ce sont des fruits rouges mûrs à souhait qui s’offrent à nous pour notre plus grand plaisir. Le vin est onctueux, suave, charnu…quel gras! Mais l’acidité citronnée qui rehausse la finale procure la fraîcheur nécessaire pour que le palais reste en éveil. De la vanille bourbon et du bois de cèdre rajoutent une autre dimension à ce vin d’une jeunesse incroyable. Les notes tertiaires du vieillissement n’apparaissent pas encore. La longueur de la persistance aromatique et gustative prouve la qualité exceptionnelle du millésime. Encore un vin d’anthologie au potentiel énorme. |
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CHATEAU LATOUR 1949 (****) Couleur rouge avec le disque un peu tuilé. Nez de fruits bien mûrs avec des notes de nougat et de caramel mou. Une légère acidité volatile se ressent. On devine un vin d’une autre époque: ce n’est peut-être pas le cas, mais il semble que la récolte n’ait pas été éraflée. L’attaque est très ronde et voisine le sucre, car le gras est très dense. L’évolution en bouche révèle rapidement des tannins un peu anguleux, mais surtout une acidité très élevée (l’acidité volatile ressentie à l’olfaction?). Le caractère Latour est là, mais dans un style fort classique et avec une certaine évolution. Ce vin de caractère a tout de même 57 ans! La persistance est très longue. |
CHATEAU LATOUR 1945 (*****) Couleur rouge rubis. L’olfaction est prenante. Elle est puissante, mais sans aucune lourdeur. On reste décontenancé devant ce chef d’oeuvre où tout semble démesuré, mais cependant parfait. Les arômes sont d’une noblesse et d’une élégance rares. Certains aspects font penser aux caractères des vins jeunes: boisé vanillé parfaitement intégré, fruits rouges… D’autres aux caractères des vins plus âgés: cuir, sous- bois, fougère, épices fines, tabac… Le vin est doté d’une concentration inouïe. Quel gras et quelle densité à l’attaque. Quel dynamisme en finale! C’est une nature colossale au niveau des tannins. Du reste, ils ne sont pas encore totalement fondus! L’infime quantité récoltée cette fabuleuse année a développé un fruit extraordinairement dense, riche et charnu qui arrive à peine à les amadouer actuellement. De par sa constitution, c’est le type-même du vin qui semble indestructible. |
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CHATEAU LATOUR 1928 (*****) Couleur rouge rubis limpide, éclatant. Nez tout en fraîcheur. Fruits rouges comme à la récolte. Les arômes tertiaires de feuillage et de sous-bois ne font que de pointer timidement: ils s’affirmeront certainement dans le futur. C’est un vin de plaisir d’une grande délicatesse, bien que fortement charpenté. Le fruit est très serré et pur. L’acidité finale procure une fraîcheur peu commune pour un vin de cet âge. Ce vin extraordinaire allie parfaitement subtilité et concentration. C’est difficile à croire: les tannins semblent devoir attendre encore des années pour mieux se fondre dans cet univers fruité. L’ouverture lui permet encore d’accentuer ses qualités et de déployer mieux sa complexité. Une merveille resplendissante. |
CHATEAU LATOUR 1870 (*****) Couleur rouge magnifique. Nez d’une finesse absolue et d’une grande complexité: café, caramel, nougat, cuir frais, tabac, fougère,… Le fruit rouge, très pur, indique une récolte parfaite. On se croirait devant la cuve! Le vin est aussi équilibré que distingué. Le gras et la chair du fruit enveloppent bien les magnifiques tannins et l’acidité en finale. Notes végétales fraîches du plus bel effet. A la persistance, c’est comme s’il y avait quelque chose à manger dans toute la densité de cette matière. On y ressent pratiquement de la pellicule désagrégée. Que c’est bon et goûteux! On peut garder le vin en bouche durant plus d’une minute avant de l’avaler: il procure du début à la fin le même divin plaisir. Ce vin est exceptionnel: il n’est ni puissant ni riche, mais il possède une telle densité qu’il semble pouvoir tenir encore à ce niveau durant plusieurs décennies. |
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CHATEAU LATOUR 1865 (*****) Couleur rouge sombre. Nez complexe: fruits noirs (myrtille), notes iodées et florales (gentiane), foin séché… C’est une nature en soi. Le vin est d’une extrême concentration. La récolte semble aussi parfaite que celle du 1870, mais plus marquée par le terroir. Le vin possède en effet cette minéralité exceptionnelle, comme iodée, des plus grands Riesling allemands. La finale révèle des tannins d’une densité et d’une race exceptionnelles. Ce vin réussit le miracle d’allier la finesse la plus exquise à une grande concentration. La persistance gustative et aromatique est interminable. Sa force ne diminuera pas avant longtemps. |
CONCLUSIONS
– Château Latour est certainement depuis deux siècles le vin le plus régulier et le plus apte au vieillissement de tout le Bordelais. – Sa constance qualitative dans les grands millésimes que nous avons eu le bonheur de goûter est vraiment exceptionnelle. – Ce cru est toujours fortement constitué, tout en étant racé et élégant. – Le dernier millésime qui a enfanté un vin donnant l’impression d’être “éternel” est le 1961. – Tous les grands millésimes d’un certain âge ont été récoltés avec des rendements faibles à très faibles. – 1970 est un cas qui laisse perplexe cependant. Il s’agit, à n’en pas douter, d’un très grand millésime mais il fut récolté avec un rendement vraiment très élevé. Il paraît pourtant insensible aux attaque de l’âge en ce moment. Va-t-il démentir le fait qu’un vin issu d’une récolte abondante n’a pas un grand potentiel de vieillissement? – 1961 et 1945 sont, de par leur structure, ceux dont le terroir s’exprime au plus haut niveau. Leur nature est monumentale mais ils restent équilibrés. Quand on les boit, on a littéralement l’impression de goûter la substantifique moelle de la terre qui les a nourris. – 1959 et plus encore 1928 (vu son âge) dégagent une sensation de jeunesse extrême puisque les arômes tertiaires n’ont pas encore pu s’extraire de la masse fruitée du vin. Ils sont “sensuels”. Je ne crois pas qu’il existe un autre vin rouge de plus de 75 ans qui possède une telle jeunesse de fruit. – Les vins pré phylloxériques, 1870 et 1865 (les deux bouteilles rebouchées en 1960), représentent une aristocratie inamovible. Ils marquent le palais des dégustateurs parce qu’ils sont parfaits à tous les niveaux et qu’ils dégagent une sensation d’éternité plus grande encore que les millésimes du 20ème siècle. – On pourrait placer les grands Latour “anciens” – ceux qui ne sont pas atteints par l’âge – dans deux catégories: – Il est difficile de ne pas se répéter lorsque l’on commente des tels crus de divers grands millésimes. Ceci parce que chaque vin vraiment exceptionnel a composé sa propre symphonie avec les mêmes paramètres incontournables et bien précis: grand terroir, récolte de haut niveau qualitatif, forte structure, harmonie des composantes acides, sucrées et amères, potentiel de garde très élevé, finesse et élégance, jamais de lourdeur mais toujours une grande densité… |