MAGNUMS 1945 & 1947
6 septembre 2003
Gstaad Palace
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Prolégomènes
Préparer durant des mois, et vivre ensuite un événement de cette envergure, s’institue comme un
moment privilégié dans la vie d’un oenophile.
Il y a d’abord la constitution en quatre étapes du dossier le plus attractif possible, qui sera distribué
à chaque participant:
– La création du fichier de présentation des domaines et des vins: tous les Châteaux sont contactés
pour obtenir des informations précises mises à jour.
– La rédaction des articles sur les millésimes 1945 et 1947: mes notes et expériences antérieures
sont étoffées par la consultation de différents ouvrages.
– Le travail photographique: chaque magnum goûté doit figurer sur le dossier de dégustation.
– La composition et le tirage des dossiers en imprimerie.
Les précieux flacons ont été soigneusement choisis et stockés dans les meilleures conditions,
puis positionnés debout plus d’un mois avant l’événement.
La recherche de bouteilles non reconditionnées est primordiale. Seules Mission (en 1978) et
Yquem (en 1982) étaient rebouchées.
La grande journée commence par le débouchage: seul devant les 10 mythiques magnums, je
ressens une émotion respectueuse, c’est vraiment impressionnant! Qui a déjà pu voir de telles
merveilles réunies, qui a pu les goûter?
Dès lors, les émotions s’enchaînent sans discontinuer… L’erreur n’est plus permise… Les convives
doivent entrer dans le rêve dès leur arrivée et y rester tout au long de la soirée.
Le très délicat débouchage (tire-bouchon classique) s’exécute sans problème majeur. Tous les
bouchons sortent de leur prison dans un état qui permet de lire le millésime et le nom du Château.
L’énorme tension emmagasinée peut se relâcher lorsque je sais que tous les vins sont parfaitement
consommables.
La dégustation se déroule de manière magistrale. Les vins nous font voyager dans leur univers et
dans leur époque. Chacun se délecte au plus haut point.
Le sublime est atteint: c’est l’apothéose du goût.
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CHATEAU PALMER 1945 (***)
Couleur rouge-rubis, légèrement tuilé, dense.
Nez ample mais un peu strict, dominé par les arômes tertiaires, avec des
touches de nougat, de boisé, de fumée et de goudron.
Le vin est concentré dès l’attaque.
Un aspect rafleux se mêle au fruit bien mûr.
A l’évolution, la masse tannique et la forte acidité prennent le dessus.
Le fruit est dominé par l’âge et la structure des tannins.
Le vin est imposant dans son ensemble, mais son apogée est dépassée.
CHATEAU LA MISSION HAUT BRION 1945 (****)
Couleur rouge-rubis légèrement tuilé.
Nez très ample, racé et élégant.
Superbes arômes tertiaires.
Le bois noble accompagne les petits fruits noirs.
Le caractère bien trempé de l’époque ressort fortement.
Le vin est solidement constitué.
A l’attaque, le gras arrondit heureusement le tout, mais en finale, la masse
tannique prend le dessus et donne un aspect austère.
Le vin est marqué par son terroir et par le style du millésime.
CHATEAU HAUT-BRION 1945 (*****)
Couleur rouge-rubis dense et brillant, superbe.
Nez complexe, très noble et fin malgré le volume impressionnant.
Fruits rouges bien mûrs et parfaits de récolte, caramel au lait, menthe, cuir…
En bouche, un monument d’une densité inouïe qui reste équilibré.
Le gras enrobe tannins, fruit et acidité jusque dans une interminable finale.
L’ouverture le rajeunit encore dans le fruit.
Vin exceptionnel, dont les fabuleuses qualités s’expriment au maximum à
l’heure actuelle, et qui a la capacité de se maintenir encore longtemps à ce niveau.
CHATEAU LATOUR 1945 (*****)
Couleur rouge-rubis dense.
Nez très marqué par des notes empyreumatiques au départ.
L’ouverture lui rend sa race habituelle.
Aspect vanillé, avec un beau fruit rouge.
L’ensemble, très massif encore, indique bien son origine médocaine.
Le vin est “monstrueux”, tant les tannins sont charpentés.
La phénoménale structure du fruit et la densité du glycérol rendent le vin épais.
Il est incroyablement long et semble taillé pour durer.
Pour ce magnum en tous les cas, les composantes ne sont pas encore
suffisamment développées pour procurer tout le plaisir escompté.
CHATEAU MOUTON-ROTHSCHILD 1945 (*****)
Couleur rouge-rubis sombre, d’une grande profondeur, jeune.
Arômes d’une densité et d’une complexité exceptionnelles: fruits noirs mûrs
et concentrés comme si on se trouvait devant le moût de la récolte, note
fumée très fine, réglisse, banane sèche.
Le tout dégage un aspect de perfection absolue.
Le vin est doté d’une chair veloutée mais tonique, qui arrive tout juste à arrondir la
masse tannique dantesque.
La finale révèle des tannins en pleine jeunesse et un fruit vif et frais, d’une
compacité unique.
Quelle merveille, quel envoûtement… L’extrême du vin sans aucune lourdeur.
Totalement intemporel car il est impossible de lui donner un âge.
Encore en période ascendante, ahurissant!
Ce vin mérite tous les éloges que la littérature lui attribue.
Il faut préciser que le magnum dégusté avait toujours reposé dans une
cave très fraîche.
CHATEAU LATOUR POMEROL 1947 (****)
Couleur rouge-rubis profond.
Nez très ample, voluptueux et sensuel.
Fruits compotés, figue, pruneau d’Agen, cuir, chocolat, cacao.
En bouche, le millésime et l’origine ont produit un vin charnu, souple,
plein et tendre, mais cette suavité disparaît en finale pour être dominée
par des tannins étonnamment stricts.
Le vin est très grand, mais on peut imaginer que son apogée a été atteinte
il y a quelques années déjà.
PETRUS 1947 (*****)
Couleur rouge-rubis limpide.
Nez de fruits rouges, comme à la récolte.
Superbe aspect vanillé, étonnamment jeune car les arômes tertiaires n’ont
pas encore pu se développer.
L’élégance du vin est accompagnée d’un fruit vif, dense et dynamique.
Le glycérol voisine le sucre.
L’énorme volume n’empêche pas une fraîcheur peu commune de faire
exploser la finale.
La rétro-olfaction est extrêmement longue.
Cette merveille n’est pas encore totalement développée.
Une bouteille dégustée en mai dernier était plus ouverte et rayonnait plus en bouche.
CHATEAU LAFLEUR 1947 (*****)
Couleur rouge-rubis très dense et foncé.
Au nez, une nature en plein développement, exubérante et joyeuse.
Arômes très marqués de Porto et de fruits noirs comme la cerise.
On sent une récolte levée en état de sur maturation avec un potentiel
d’alcool élevé.
L’attaque est parmi les plus concentrées qui soit.
Le vin est d’une richesse peu commune.
On y retrouve, non seulement la masse charnue et veloutée d’un Vintage,
mais aussi l’alcool et l’acidité.
Vin intemporel. Un monument baroque au plus haut point.
Au maximum de ses qualités, et pour longtemps encore.
CHATEAU CHEVAL BLANC 1947 (*****)
Couleur rouge sombre.
Arômes d’extrême densité, à devenir envoûtant.
Fruits rouges comme à la récolte: on s’imagine le nez au-dessus de la cuve
en fermentation. Le boisé vanillé et fin est encore bien présent.
La nature proche du Porto s’exprime aussi mais de manière plus complexe car
l’alcool est moins marqué.
Vin de délire, avec une concentration au-dessus de tout. Aspect nougat et crème
fouettée, sucre candi, figue. La finale est encore sur les tannins et le fruit frais.
Longueur interminable.
Un chef d’oeuvre qui doit encore attendre. Une bouteille bue en mars 2002
possédait les mêmes qualités, mais avec un développement supérieur, vu le format.
CHATEAU D’YQUEM 1947 (?)
Couleur or ambré, très limpide, tire sur l’orangé.
Nez complexe: crème fouettée, abricot sec, écorce d’orange, cire de
parquet, nougat.
Vin très dense, comme tannique, avec beaucoup de glycérol.
La sucrosité est moyenne.
La finale est fortement soutenue par l’alcool et l’acidité.
Ce magnum d’Yquem 1947 était principalement marqué par sa structure.
Plusieurs bouteilles dégustées étaient plus resplendissantes et
méritaient toutes ***** .
Conclusions
Dégustation de l’extrême Vins de l’extrême
Tout ce qui a été écrit sur les millésimes 1945 et 1947 est magistralement confirmé par cette
dégustation. Deux géants de styles forts différents. L’un diaboliquement tannique, structuré et
aristocratique. L’autre follement exubérant, volumineux et exotique.
1945 a produit des vins d’une densité à ce point phénoménale que les magnums de Latour et
Mouton sont encore loin de leur point culminant. Pour Mouton, le terme “immortel” que j’ai utilisé
dans la fiche de dégustation pour le présenter, semble bien convenir. Haut-Brion, bien que parfait
en ce moment, passera les deux décennies à venir sans faiblir.
1947 a gratifié les amateurs de vins somptueusement charnus, sensuels et flamboyants.
La structure des meilleurs se rapproche des 1945. Les magnums de Pétrus et de Cheval Blanc
ont aussi besoin de temps pour atteindre leur plein développement. Lafleur est un cas en soi.
Il prend plus de place dans le palais que n’importe quel autre vin. Il est prêt à boire, mais
l’avenir lui sourit.
Dans les millésimes postérieurs, essayer de retrouver des vins qui auront une aussi grande
étendue de vie semble vain. Les progrès de la médecine, depuis 1945, ont permis de rallonger
sensiblement la durée de vie de l’être humain. Les progrès viti-vinicoles ont eu, semble-t-il, un
effet contraire dans le domaine du vin. Cette constatation concerne uniquement l’aspect du
vieillissement.
La qualité des crus et millésimes, alliée à celle des flacons, a permis de passer “Le” moment
de rêve.
Le repas qui suivit fut à la hauteur des vins de la dégustation.
Frédy Girardet en personne s’est mis au fourneau du Gstaad Palace
pour préparer une série de ses meilleures recettes.