LES BORDEAUX ROUGES 1982
Ce millésime fut d’emblée sujet à tous les éloges. Les conditions climatiques furent parmi les plus favorables du siècle. Juin fut chaud, ensoleillé et sec. La chaleur accompagna aussi juillet, et le cycle végétatif fut parfait. Août, légèrment plus frais, vit quelques orages bénéfiques venir gonfler les baies. Septembre transforma le tout en miracle: trois semaines de chaleur intense sans une goutte de pluie, avec un vent du sud très chaud. Les vendanges donnaient des raisins pratiquement surmaturés, avec une richesse alcoolique en puissance élevée.
Cette richesse de base a inquiété inutilement certains commentateurs car elle s’accompagnait d’une acidité relativement faible (cette acidité était cependant sensiblement la même que celle des fameux 1959 ou 1961). La peur d’un vin trop tendre ne dura pas longtemps, car les 1982 se révélèrent les plus concentrés et les plus riches en extrait depuis 1961.
Autre particularité: le millésime a connu une production quantitative record à l’époque, dépassée ensuite par 1985, 86, 89 et 90. Cette forte production est encore maintenant sujet à controverse. Pour certains, les 1982 ne pourront pas tenir aussi longtemps que les millésimes de très faible production, comme 1945 et 1961. Pour d’autres, la tenue ne sera pas un problème, vu la qualité des vins.
Le millésime 1982 arrive aussi à une époque charnière. Les températures élevées à la récolte et lors de la fermentation alcoolique ont failli dégrader la perfection du fruit. L’équipement moderne des chais a permis d’éviter la plupart des problèmes qui auraient affecté des récoltes similaires antérieures. Les enseignements ont servi pour les millésimes 1985, 89 ou 90 qui furent eux aussi marqués par de fortes chaleurs. Ces derniers millésimes ont profité d’importantes améliorations technologiques permettant de mieux contrôler encore l’ensemble de la vinification.
Je me permets ainsi de comparer les époques des grands millésimes 1961 et 1982. Si 1961 fait le lien parfait entre l’époque des vins dits « anciens » et l’avènement de l’oenologie moderne, 1982 fait le lien parfait entre l’oenologie dite « moderne » et les chamboulements technologiques des dernières années, dont le concentrateur est l’exemple le plus frappant.
Les vins de 1982 ont toujours été marqués par le fruit mûr et l’opulence, le glycérol arrondissant l’énorme extraction. On est véritablement en présence de vins somptueux depuis le moment de la récolte jusqu’à aujourd’hui, et certainement pour longtemps encore (pour les meilleurs).
La vénération que portent les grands collectionneurs au 1982 peut être comparée à celle des 1961 ou 1945. Cela se reporte évidemment sur les prix qu’il faut payer pour en acquérir. Ils étaient déjà élevés au printemps suivant la récolte, et n’ont jamais cesser d’augmenter, jusqu’à atteindre des sommets insoupçonnés.
1982 est à mon sens le meilleur millésime connu depuis 1961. Quelques très rares 1975 et plusieurs 1970 peuvent cependant donner une excellente réplique à cette paire magistrale.
Février 2002