DE LA MARSANNE
ET DE L’ELEVAGE DES VINS
Juillet 2016
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Avertissement
Cet article n’engage que moi en tant qu’amateur de vin. Mes théories sont ce qui ressort de mes dégustations et de mes contacts avec les professionnels depuis 1979. Je ne les tiens pas pour “vraies”. J’exprime simplement mes préférences et je me plais à les mettre en avant car j’y crois fermement, en tous les cas actuellement. Le sujet concerne les vins issus de Marsanne considérées comme sèches ou très légèrement douces.
La Marsanne et ses facettes
La Marsanne valaisanne produit un vin de style différent de celui des Côtes du Rhône françaises.
En Valais, elle donne évidemment le vin le plus fort, le plus imposant, le plus riche, le plus baroque, le plus fou parmi tous les crus blancs ou rouges. C’est mon préféré sans hésitation.
Son approche est difficile, et pour cause: son caractère n’a rien d’anodin, de standard ou de facile. C’est certainement le seul vin qui peut présenter en même temps une finesse extrême et une personnalité des plus marquantes.
Pour décrire ses arômes, les mots sont nombreux. Mais il y a deux choses principales et fort différentes l’une de l’autre que cherchent les amateurs de ce vin. D’abord la truffe blanche qui peut apparaître dès la jeunesse et parfois au vieillissement. Cet aspect peut être si marqué qu’il en devient “entêtant” pour certains. Ensuite, l’eau-de-vie de framboise ou de fraise des bois. Les grands millésimes doivent impérativement présenter ces aspects.
Il existe beaucoup d’autres “marques” de la Marsanne: le jus d’asperge, l’huile d’olive, la mangue, les fleurs jaunes en pleine maturité….
En bouche, ce qui est ressenti au nez doit s’y retrouver, mais avec du gras, de l’amertume finale et un grand volume. Normalement l’alcool est soutenu et l’équilibre n’est obtenu que par la concentration de toutes les autres composantes. Comme tous les vrais grands vins, la Marsanne évolue à l’ouverture et présente à chaque instant de nouvelles facettes.
Le vieillissement de la Marsanne
Lorsque la Marsanne est jeune, elle peut faire plus que son âge. Et lorsqu’elle est vieillit, elle paraît facilement plus jeune. Mais sa particularité la plus unique est d’être “intemporelle”: à l’aveugle, on peut se tromper de 30 ans sur son âge.
Son potentiel de vieillissement est parmi les plus grands au monde. Et dire que nous, bons valaisans, nous persistons à croire qu’il faut boire le vin local dans l’année, alors que nous acceptons pour tous les autres vins du monde qu’ils aient vieilli! Quel peu de confiance (et de connaissance) envers notre propre production! J’ai bu à plusieurs reprises la Marsanne 1942 de la Cave Orsat SA. Les bouteilles étaient toutes fantastiques. La dernière en 2012. Elle avait donc 70 ans. C’était tout simplement exceptionnel. Même de grands Bourgogne ou Bordeaux n’arrivent pas à tenir aussi longtemps.
La Marsanne est un vin de connaisseur. Elle doit être suivie dans son évolution. Elle donne infiniment plus de satisfactions quand elle a pu bénéficier de quelques années de tranquillité.
Les grandes Marsanne
Une grande Marsanne est difficile à obtenir. On passe directement du très grand vin à un vin juste moyen. Je n’ai pas la prétention de savoir indiquer la recette pour obtenir une grande Marsanne. Je sais simplement que les producteurs sont heureux lorsque la récolte est “caillée”. Il semble que cela exacerbe les caractéristiques du cépage.
Les grands millésimes sont peu fréquents. 1984 demeure le sommet que j’ai connu. Chaque année, un producteur ou l’autre, présente un grand vin avec ce cépage. Mais je suis persuadé que, avec un travail approprié et avec les moyens actuels, on devrait rapidement améliorer le pourcentage de réussites. Il faut que le producteur soit convaincu, c’est tout.
Marsanne, avec ou sans Roussanne?
Le règlement permet de faire de l’Ermitage avec de la Marsanne et de la Roussanne, assemblées ou non. La Roussanne ressemble, en tant que vin, à la Marsanne. Elle semble être adjointe à la Marsanne pour lui donner plus de fruit et de fraîcheur, mais aussi pour la “civiliser”, c’est-à-dire la rendre plus élégante. C’est justement à cause de ces raisons que je préfère nettement une Marsanne “pure”. Elle n’en gardera que mieux son vrai caractère.
L’élevage de la Marsanne
A ce jour, aucune Marsanne élevée sous bois ne m’a laissé un grand souvenir. Comme pour tous les autres cépages, plus de 95% de vins élevés en fûts auraient été meilleurs purs car le bois domine le fruit (= perte de fruit) et déséquilibre l’ensemble. Dans les quelques cas de “réussites” (= le boisé est bien fondu et ne se ressent pas), le vin est excellent, mais le “lissage” dû au passage sous bois arrondit les points saillants du caractère du cépage. Toutes ses spécificités sont comme “aplanies”, et donc, sa personnalité est affaiblie. C’est comme un paysage montagneux qui perd son relief: la différence entre les points élevés et la plaine s’amenuise.
Quant à dire qu’un élevage sous bois augmente la durée de vie, cela me fait éclater de rire, surtout de la part de valaisans qui pensent qu’un vin doit être bu dans l’année. La Marsanne de 1942 (70 ans) dont j’ai parlé a vécu dans de vieux foudres. D’autres vieilles Marsanne grandioses avaient passé dans des cuves en béton, toujours en ayant des potientiels de vie dépassant les 50 ans.
J’ose me permettre ici un aparté provocateur: l’élevage sous bois ne consiste pas à passer un jus qui a fini sa fermentation en barrique. Le travail doit commencer à la vigne et tout doit suivre derrière. Je ne m’étends pas là-dessus car c’est une affaire de professionnels. Mais je souhaite au vigneron qui s’y lance d’avoir la liberté et le flair pour mettre son vin en bouteilles lorsque c’est le réel bon moment. Par conséquent, ce ne sont ni les contraintes bancaires, ni les clients, ni le manque de place dans la cave qui doivent indiquer le moment de procéder. Ceci vaut d’ailleurs aussi pour les vins “non barriqués”.
Je préconise, pour la Marsanne toujours, des élevages ou en amphore (terre cuite) ou en oeufs (béton), et même en cuve inox. Pour l’inox, on sait maintenant mieux la dominer. On arrive à mieux “aérer” le vin pour éviter le “réduit” et lui permettre de vivre et de s’épanouir. On peut encore le “nourrir” en travaillant avec les lies. Dans ces cas, la Marsanne restera ce qu’elle doit être: un vin sans concession.
L’exemple exceptionnel
ERMITAGE CAVE LA SISERANCHE, CHAMOSON, 2008
Les arômes typiques du cépage jaillissent sans retenue du verre: truffe blanche, noyau d’abricot et eau-de-vie de framboise. L’ampleur est impressionnante.
Le vin est une longue vague onctueuse. Les caractéristiques de l’olfaction se retrouvent en bouche. Tout est concentré sans être lourd. La caractère marqué et la finesse se marient parfaitement. La forte structure n’empêche pas un équilibre sans faille. La rondeur sensuelle est soutenue par l’acidité et l’alcool jusque dans la très longue persistance. Un vin de dimension mondiale qui aura encore une très longue carrière.