A.P. BIRKS WENDOUREE CELLARS
Août 2016
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LA NAISSANCE DU DOMAINE
La Maison “A.P. BIRKS WENDOUREE CELLARS” a été fondée par Alfred-Percy Birks (1868 – 1948) en 1895.
Elle se trouve à 100 km au nord d’Adelaïde dans la Clare Valley.
Wendouree vient d’un vocable aborigène signifiant “place d’eau”.
Birks plante ses premiers pieds de vigne dans la région en 1892.
Ici, un pied de Syrah planté en 1893
Avec son frère, il achète du raisin auprès de producteurs voisins pour produire quelques litres de vins.
D’autres petites plantations interviennent dans les années suivantes.
Le broyeur de raisin utilisé dès 1895 et la cave
En 1903, les Birks achètent une cave qui est trop petite pour élever l’ensemble de leurs vendanges.
Ils ne peuvent produire que 4’550 litres de vin.
Ce vin, plus les autres raisins récoltés partent à la Stanley Wine Company qui va assurer toute la commercialisation jusqu’en 1923.
La production s’élève pas à pas pour atteindre 18’000 litres dès les années 1910.
Cela force les Birks à construire une nouvelle cave en 1914 à côté de la première, avec de petites extensions en 1922 et 1924.
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LE DOMAINE SOUS ROLY BIRKS
Pour des raisons de santé, Alfred-Percy Birks doit céder les rênes en 1917 à son troisième fils Roland Napier Birks dit Roly.
Celui-ci produira du vin jusqu’en 1974, soit 57 millésimes! Dans les années 1920, il augmente la dimension des vignes et agrandit un peu la cave.
Il suit la tendance: à côté des vins rouges, il élève des vins fortifiés pour 50% de la totalité.
Alfred-Percy Birks est assis à gauche
Roly Birks est assis dans l’herbe
Ayant terminé la collaboration avec la Stanley Wine Company, dès 1925, il vend sa production en livrant par camion des tonneaux dans les hôtels de la région.
Après la Guerre Mondiale, il s’agrandit d’une entreprise fournissant du vin de base à d’importantes compagnies qui suivent la nouvelle mode: les vins effervescents.
En 1950, il atteint une production de 60’000 litres. Dès cette date, le marchand de Melbourne “Seabrook & Son” commence à acheter des quantités importantes de vin rouge en tonneau.
Il s’occupe de la mise en bouteilles et de la commercialisation. La production de vins renforcés et de vin de base pour des effervescents cesse progressivement.
Roly Birks décide de se retirer et vend le domaine en 1970. Il a 77 ans. Il s’aperçoit trop tard que l’acheteur n’a ni les finances ni les capacités.
Il essaie de faire face. Mais l’entreprise coule au point de ne produire que 10 tonnes de raisins en 1974.
Les divers biens sont mis en vente aux enchères par les créanciers. Peu de gens s’y intéressent car les vignes sont considérées comme trop âgées!
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DES BIRKS AUX BRADY
Le businessman Max Liberman achète en 1974 tous les bâtiments existants et toutes les plus vieilles vignes.
Il place comme gestionnaires sa fille Lita et son beau-fils Tony Brady. Aucun ne connaît quoi que ce soit au vin.
Tony Brady
Lita va étudier l’oenologie à l’université, mais elle ne peut pas tout maîtriser sans expérience.
Roly Birks accepte alors d’aider l’entreprise en tant que consultant.
Il dirige réellement les deux premiers millésimes (1975 et 1976) et conseille pour les suivants.
Celui-ci se retirera définitivement en 1982, après avoir suivi en tout 65 millésimes! Il mourra en 1988.
Par la suite, c’est l’oenologue-conseil Stephen George, propriétaire de Ashton Hills, qui va apporter son aide aux Brady durant à peu près 30 ans.
Ce faisant, l’expérience acquise par Lita et Tony leur permet assez rapidement d’imposer avec précision le style de vin voulu.
Ils s’occupent maintenant seuls de l’entreprise.
Du millésime 1975 au 1980, le principal de la production a été vendu en bouteilles et une petite partie en tonneaux. Par après, tout fut mis en bouteilles.
Du vin fortifié de style Porto a été produit de 1975 à 1986.
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LE DOMAINE ACTUEL
Les vignes, très âgées, sont situées entre 400 et 530 mètres d’altitude.
Les premières plantations des Birks sont toujours en fonction:
– Cabernet-Sauvignon: 1892 (0,2 ha), 1920
– Shiraz: 1893 (1,2 ha), 1896 (0,5 ha), 1919 (1,6 ha), 1920 (0,8 ha)
– Malbec: 1898, 1920
– Mataro (Mourvèdre): 1920 (0,2 ha)
– Muscat d’Alexandrie: 1940
Ces vignes représentent plus de la moitié des 9,73 hectares de la surface viticole actuelle.
La seule nouvelle plantation fut faite par les Brady en 1975 avec du Cabernet Sauvignon.
Une partie du vignoble de Wendouree
La production, moins de 30’000 bouteilles annuelles, est répartie sur un assortiment de six vins:
Shiraz Mataro (80% Shiraz, 20% Mataro) / Shiraz Malbec (60% Shiraz, 40% Malbec) / Cabernet Malbec (80% Cabernet, 20% Malbec)
Shiraz / Malbec / Cabernet Sauvignon / Muscat of Alexandria
L’excellent sous-sol bénéficie d’un drainage naturel optimal. Les vignes ne sont pas irriguées.
Le climat est continental avec des étés très chauds et des hivers très froids.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’ensemble des bâtiments et du matériel de 1903 et 1914 est encore utilisé aujourd’hui (dont le pressoir).
Une visite sur les lieux démontre bien que tout est pratiquement demeuré comme à l’époque.
Une seule nouveauté est apparue en 1987: du matériel pour permettre une meilleure extraction des tannins.
Malgré ce respect de la tradition, on s’aperçoit que les Brady savent étonnamment utiliser le modernisme: des cuves en inox (pour la malo-lactique), le contrôle des températures, une toute nouvelle installation de mise en bouteilles (début des années 2010), et, depuis quelques années, la fermeture des bouteilles par une capsule à vis (Guala Closures).
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LE STYLE BRADY
Le style des Brady est une suite respectueuse de celui de Roly Birks, toujours avec une honnêteté sans faille.
Tous les travaux viticoles sont faits à la main, au contraire du reste de la production australienne.
Les rendements, parmi les plus faibles (25 hl/ha), sont assurés tout simplement par l’âge des vignes.
Les raisins sont récoltés plus précocement que d’habitude en Australie.
Le but est d’arriver à garder plus de fraîcheur de tannin et de fruit, d’obtenir un alcool faible pour la région (13,5%), et de produire un vrai vin de garde.
L’extraordinaire résultat contraste fortement avec les “poids lourds” habituels.
Tout est travaillé de la manière la plus naturelle possible, à la vigne comme à la cave.
La fermentation se fait en cuve ouverte avec pigeage à la main.
La malo-lactique, se déroule dans des cuves en inox, puis le vin est mis en fûts, dont 25% de neufs, pour 12 mois.
Cela peut varier selon le millésime. Les assemblages interviennent après la maturation en fûts.
Le vin est “lâché” 6 mois après la mise en bouteilles.
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IL Y A LES BRADY ET LES AUTRES
La philosophie des Brady est sans concession.
Le domaine est l’antithèse-même du moderne axé sur le marché violent de la concurrence et de l’industrie high-tech.
Le temps compte peu et on est à des lieues des dégustations “cliniques” des techniciens inféodés à la cotation sur 100 points.
Ils élaborent leurs vins comme ils le veulent, sans tenir compte des modes, des critiques spécialisés, ou des clients.
La folie qualitative va jusqu’à “éliminer” parfois 20% de la production sur le marché de vrac.
Ils découragent activement le fait que l’on parle d’eux et de leurs vins dans la presse.
A l’entrée du chemin qui mène à la cave, un panneau indique: “Wendouree, closed”.
Panneau d’entrée du domaine
Brady écrit “closed” pour éviter les visites
Ils n’ont pas de site internet, de porte d’entrée à la Wendouree Cellar, d’office de vente, d’adresse mail officiel. Ils refusent le plus possible les visites.
On peut comprendre que ce vin soit un des plus difficiles à se procurer. Mais vente, il y a quand même.
La méthode a été inaugurée déjà en 1925 par Roly Birks: on ne peut acheter que si l’on sur on se trouve sur une liste d’adresse.
Chez les Brady, il faut, soit téléphoner, soit écrire une lettre. Si vous avez de la chance, on vous met sur une liste d’attente qui est une sorte de “mail list” sacrée.
Quand les clients attitrés sont servis, s’il reste quelques bouteilles, elles peuvent peut-être vous revenir.
En gros, les acquéreurs ont droit à 6 bouteilles au maximum de chaque vin.
Les prix, en raison de la qualité et de la rareté, sont ridiculement faibles, soit moins de 60 Euros.
Les Brady contrôlent de manière serrée leurs clients.
Si l’on insiste trop, ou que l’on profite maladroitement de la rareté ou de la notoriété du vin, on est retiré de la fameuse liste.
Quelques bouteilles semblent quand même être vendues dans certains négoces d’Australie, mais toujours à prix restreint.
Grâce à cette mainmise sur la production, la spéculation est quasi inexistante.
Il est évident que ces bouteilles pourraient être les plus chères d’Australie, dépassant de loin les fameux Grange, Hill of Grace ou The Laird.
Mais les Brady désirent que leurs bouteilles ne partent pas uniquement vers des acheteurs aisés.
Les vins de Wendouree sont devenus des icônes inaccessibles. Leur style est unique en Australie (et peut-être ailleurs).
Chaque dégustateur qui en a bu se considère comme privilégié pour plusieurs raisons: leur qualité fantastique, leur rareté, leur personnalité, l’histoire du domaine…
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En l’instant, je n’ai pu boire qu’une seule fois un vin de A.P. Birks Wendouree.
C’était en août 2016, un Cabernet Sauvignon 1986. Ce cru avait donc 30 ans.
CABERNET SAUVIGNON A.P. BIRKS WENDOUREE 1986
La couleur est d’un magnifique rouge dense très limpide. Les arômes ont une pureté exceptionnelle.
On sent tout simplement le raisin de la récolte. La finesse et le caractère sont remarquables.
La notion de cépage est dépassée par la qualité intrinsèque de la récolte et de son terroir. Le vin garde un fruité très jeune et dynamique.
L’âge ne se ressent pas. La texture est soyeuse mais ferme.
Les tannins sont très construits, mais ils se fondent parfaitement dans la chair du fruit.
L’ensemble n’est pas corpulent ou lourd, mais la densité est extrême. L’harmonie est géniale du début à la fin.
Avec le recul, ce qui frappe le plus, c’est l’intemporalité que dégage ce vin et le fait d’avoir bu un sujet différent de tous les autres.