KALO IMRE
A EGER
Avril 2017
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Il est des rencontres marquantes dans une vie.
Celle de Imre Kalo chez lui à Szomolya dans la région de Eger en Hongrie en fait partie.
Le village de Szomolya est petit. On sent la Hongrie traditionnelle, un peu retirée.
Imre Kalo
Imre Kalo est assez “radical-droitisant” dans ses propos, mais dans la pratique c’est un humaniste
qui ne conçoit l’existence que dans la convivialité en offrant ce qu’il a, gracieusement.
Sa cave, véritable lieu sacré, il l’a creusée lui-même dans le tuf volcanique.
On peut y accéder par un escalier de pierre depuis sa maison vieille de 400 ans (mais bien entretenue).
En-dessous, c’est un enchaînement de couloirs ornés par des figures féodales. Des tonneaux anciens en sont les habitants.
Mais on y trouve d’autres choses: ici, une sorte de chapelle, là une alcôve contenant des verres cassés…
L’entrée de la cave d’Imre Kalo
Tout visiteur n’est pas nécessairement admis dans ce sanctuaire. Il faut d’abord prouver sa passion du vin pour avoir droit à un rendez-vous.
Les présentations devant l’entrée de la cave ont déjà leur importance.
Ensuite, le ressenti de Imre Kalo durant la dégustation en influence le cours.
Elle peut rapidement se terminer si les hôtes ne lui semblent pas à la hauteur, par méconnaissance ou par manque d’intérêt.
Si tout va bien, une petite agape agrémentera la dégustation. Et si tout va encore mieux, les visiteurs ont droit ensuite au repas en famille.
Le personnage à l’oeil vif et pénétrant présente de multiples facettes: chrétien très croyant, caractère autant fort que généreux, rebelle à l’autorité.
L’administration locale lui interdit la vente de ses vins hors de la cave et ne le reconnaît pas en tant que viticulteur.
Il vend donc à domicile, à un prix unique pour n’importe quel vin ou millésime, et sans étiquette. Les restaurants ne peuvent donc pas le proposer.
Il est un illustre inconnu, même en Hongrie.
Ses prix sont de très loin supérieurs à ceux de ses “collègues” de la région de Eger, mais très abordables en comparaison des vedettes européennes.
L’inaccessibilité, la rareté des produits et le style de vente pourraient faire penser à une stratégie commerciale.
Chez Imre Kalo, on est loin de là: c’est par amour du vin, des humains et de Dieu.
La fille et le fils de Imre ont suivi une formation oenologique officielle.
Le fossé qui les sépare ainsi des manières hors norme de leur père est si grand qu’ils ont décidé de monter leur propre cave
séparément tout en gardant un excellent contact.
La conséquence est simple: lorsque Imre Kalo se retirera, le monde perdra une étoile unique, certainement impossible à rallumer.
Le “vigneron” et ses vignes
Cet ancien garde forestier au service de l’Etat devient vigneron-éleveur sans aucune étude officielle dès la fin des années 1980.
Le premier millésime dont il sera satisfait est le 2000.
Son grand-père et son père faisaient du vin, mais peu.
Durant la période communiste, il était permis de cultiver seulement 0,4 hectares pour en faire une consommation familiale.
Imre Kalo “vit” avec ses vignes (13 ha pour 21 cépages) et ses vins en complète symbiose. L’instinct lui a plus appris que ses parents.
Il sait que son terroir est magique. De par ce fait, et grâce à Dieu, les vins qui en sont issus ont besoin du moins d’intervention possible.
Pour bien illustrer la chose, il dit: ” Si la vigne est attaquée, elle doit se défendre seule… ou mourir.
Et si la récolte est détruite, ce n’est pas bien grave : j’ai assez de vin en cave…”
Tous les travaux se font à la main. Il traite (si l’on ose dire encore “traiter”) ses vignes avec une mixture
bien à lui qu’il administre de manière avare. Rien d’ésotérique ou de naïf: le bon sens et le flair avant tout.
Son terroir est un trésor si particulier que des scientifiques y ont découvert huit variétés de botrytis encore jamais répertoriées.
Les récoltes se font plus tardivement que chez les autres encaveurs, avec aussi des rendements de beaucoup inférieurs.
Imre Kalo et ses vins
Les opérations de cave sont les mêmes pour les blancs et les rouges. La récolte est égrappée à la main.
Elle passe sans foulage dans une cuve en tuf émaillé ouverte pour une macération qui peut durer plus de deux mois.
Il n’y a évidemment pas besoin de demander si les levures sont naturelles ou non. Le chapeau est remué grossièrement.
Le liquide recevra à ce moment, par vaporisation, le seul sulfitage de sa vie. Pas de pressurage.
La récupération du jus se fait par gravitation.
Les fermentations peuvent durer plusieurs années, oui c’est comme ça: la température qui descend en hiver peut interrompre
une fermentation alcoolique qui va reprendre naturellement la saison suivante.
Les vins sont beaucoup plus exposés à l’air que la normale. Les grosses lies vivent dans les tonneaux.
Partout ailleurs, les mêmes conditions seraient suicidaires et mèneraient à des oxydations gênantes,
des goûts de rancio, des tannins grossiers et des acidités volatiles. Là, le type oxydatif est parfait.
Du reste, c’est tellement positif qu’il faudrait remplacer “style oxydatif” par un autre terme à inventer.
Les vins ont une finesse extrême avec une densité peu commune.
Je crois que sa manière d’élaborer un vin est unique au monde.
Avec de telles conceptions oenologiques et de telles conditions de matériel, n’importe quel technicien actuel n’entrerait pas en matière.
Mais il faut savoir qu’il n’y aucune place faite au hasard chez Imre Kalo.
La majeure partie de la production demeure durant des années, parfois plus de dix ans, dans des tonneaux.
Cela doit faire au moins deux cents vins différents en élevage!
La mise en bouteilles est faite selon son gré…et si cela devait l’être pour des raisons commerciales,
on devine qu’au final, c’est quand même lui qui décide.
On peut considérer que bien moins de la moitié de sa production est réellement vendue.
La dégustation et l’accueil
Pour dire combien les vins de Imre Kalo sortent des créneaux habituels, il faut savoir qu’un des meilleurs dégustateurs de France,
lors de sa visite chez lui, a renoncé à donner des notes avec des pointages (100/100 ou 20/20)!
J’ai aussi renoncé à prendre des notes comme je le fais habituellement pour décrire chaque vin.
J’ai senti que le moment devait pleinement être vécu, sans contrainte, pour profiter des échanges très denses et instructifs.
A l’entrée du lieu sacré, Imre donne à chacun un verre idéal pour la dégustation.
A ce moment, on sait déjà que de recracher la moindre goutte serait une offense.
Le premier cru est une exception dans la cave de Imre Kalo, car élevé en cuve inox: un Grüner Veltliner 2007 pas du tout
mis en bouteilles à ce jour!
On lui a offert cette cuve en 2005. Comme cela ne lui convenait pas, il y a gardé le vin de 2007 et n’en fera plus dans ce contenant.
Le vin est d’une grande pureté, très vif et dynamique. Il a encore un peu de carbonique, ce qui est à peine croyable.
On est déjà impressionné par la grandeur du sujet.
Une vingtaine d’autres crus seront ensuite dégustés, sortis des divers tonneaux.
Chaque fois, on est impressionné par la structure et la personnalité du vin.
La densité et la minéralité sont extraordinaires, ainsi que la fraîcheur.
L’aspect oxydatif est uniquement positif et se présente d’une manière différente de celle des autres vins de ce style.
Je cite, par ordre, presque tous les vins dégustés:
– Grüner Veltliner 2015 – Müller-Thurgau 2014 – Chardonnay 2009 – Müller-Thurgau 2015 – Sauvignon 2014
Chardonnay 2013 – Welsch Riesling 2003 – Assemblage blanc 2015 – Turan (rouge) aszu 2016 – Cabernet Sauvignon 2014
Merlot 2014 – Pinot Noir Aszu 2014 – Kadarka (rouge) 2015 – Blaufrankich 2013
Lorsque l’on arrive au Chardonnay, on pense aux grands Bourgogne.
Le style n’a rien à voir, mais le minéralité et la chair de bouche sont similaires.
On a presque la même remarque avec le Pinot Noir sous sa version “normale”. Imre Kalo aime et connaît la Bourgogne.
Dans les particularités, il faut citer deux sortes de folies:
1) Certains vins rouges sont récoltés dans le style Aszu des Tokaji.
Le Pinot Noir 2014 du style donne un vin entre un “Szamorodni” et un “Aszu”!
2) Certains vins restés en tonneaux depuis longtemps se voient rajoutés des années après par la
récolte style Aszu d’un nouveau millésime. Le résultat est toujours impressionnant.
La dégustation dans le sanctuaire a été agrémentée à un moment donné par un vrai plat de charcuterie.
Après la dégustation, nous fûmes accueillis dans le spacieux salon-cuisine de la famille pour un repas d’une finesse extrême.
Les vins d’accompagnement étaient tout aussi remarquables.
Quand on est baigné journellement dans une mondialisation envahissante, un tel moment est un bonheur précieux.
Merci Imre Kalo!