UN REPAS HISTORIQUE
24 juin 2010
Château de Beaune
Domaine Bouchard Père & Fils
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Ce repas-dégustation pour le moins historique a réuni un panel de dix collectionneurs et amateurs
venus de tous horizons dans le but de combler leur passion pour les vins anciens.
Le Château de Beaune fut le témoin de cette soirée marquante à plus d’un titre.
Propriétaire du lieu, la Maison Bouchard Père & Fils accueillit royalement les hôtes
dans ce cadre majestueux.
Un repas absolument délicieux fut concocté par trois gentes Dames de la Maison.
Les mets servis par elles furent le digne accompagnement des vins et millésimes
exceptionnels dégustés, commentés, jugés, appréciés, bus, aimés et enregistrés
pour toujours dans les mémoires.
Chaque convive proposait “Le” trésor gardé précautionneusement pour ne le
présenter que lors d’une circonstance exceptionnelle et unique.
Le prélude, un magnum de Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1959,
permit aux convives rassemblés sur une terrasse de mieux faire connaissance et
d’entamer des discussions enthousiastes. Ce Champagne de haute structure avait
encore une densité de bulle incroyable.
Le vin était racé et n’avait subi aucun outrage du temps.
Nous passâmes à table pour la fabuleuse cérémonie.
Huit crus totalisant 984 ans d’âge pour une moyenne de 123 ans nous
attendaient! Imaginez l’intensité du moment.
Les flacons furent à la hauteur de nos aspirations.
CORTON-CHARLEMAGNE 1961 (***)
DOMAINE BOUCHARD PERE & FILS
Belle couleur dorée.
Au départ, les arômes tertiaires d’humus et de champignons dominent.
Ils sont un peu austères et rustiques.
Le vin est racé avec une trame serrée.
Il est encore frais et jeune, bien que le fruit soit très mûr et transmette
des notes de miel et de confit.
L’ouverture le rend plus élégant, amplifie son fruit et lui donne un
velouté agréable.
CHÂTEAU MARGAUX 1929 (*)
Margaux 1929 est une grande réussite à mon avis.
Deux bouteilles bues précédemment étaient absolument remarquables.
La bouteille de cette soirée souffre malheureusement d’un niveau un
peu faible, bien visible sur la photo.
Le vin a une acidité volatile assez prenante.
On sent une fameuse structure mais l’ensemble est bien entendu assez
fatigué.
Le plat d’accompagnement l’a beaucoup secouru.
(la bouteille de la photo est bien celle qui fut dégustée, mais j’ai remis
une étiquette non dégradée)
FLEURIE 1929, CHÂTEAU DE PONCIE (*****)
Superbe couleur rouge dense, quasi sans altération.Le nez a tout simplement
la classe et la race d’un grand Bourgogne! Le fruit est ample, élégant et très pur.
La complexité s’exprime sur des notes de fruits noirs, d’épices et de bois noble.
Une touche minérale complète le tableau.Le vin est charnu et charmant, avec
une structure digne du grand millésime dont il est issu. Malgré le volume, aucune
lourdeur ne vient gêner le plaisir gustatif. Une légère acidité volatile renforce
favorablement arômes et goûts. La personnalité de ce vin est si belle que l’on
essaie instinctivement de trouver le nom du grand cru de la Côte d’Or auquel il
nous fait penser.C’est le type de vin dont on boit de larges gorgées rien que pour
donner fête en notre palais. Sa tenue est exceptionnelle.
Ce Fleurie 1929 fait partie de la fabuleuse collection de Bouchard Père & Fils car
le Château de Poncié appartenait à leur famille à cette époque. Les descendants
directs d’une branche de la famille Bouchard Père & Fils l’ont conservé jusqu’au
rachat par Henriot en 2009. Il est rebaptisé depuis sous “Villa Ponciago”.
CHÂTEAU LAFITE 1858 (*****) (rebouché en 1983)
Couleur rouge dense presque sans vieillissement.
Le nez paraît un peu austère, mais c’est plutôt une haute aristocratie qui
veut se faire discrète.
Les arômes sont d’une distinction extrême. On y retrouve des fruits rouges,
du bois de cèdre et de l’humus. Toutes les composantes forment un ensemble
d’une totale harmonie. J’y retrouve le vrai Bordeaux classique très pur.
Le vin est concentré sans aucune lourdeur. Le fruit est très vif: c’est l’acidité
habituelle des vins de cette époque qui ressort. Une note “rafleuse” rajoute au
caractère du vin: elle n’a rien de gênant car le temps l’a assouplie.
La texture de bouche est délicate mais intense. Le fruit n’est pas spécialement
charnu mais il est suffisamment dense pour maintenir les tannins et l’acidité en
parfait équilibre. La longue et harmonieuse persistance prouve la toute grande
classe de ce vin.
Ce Lafite 1858 est d’un style élégant et noble, plus équilibré que puissant.
CHÂTEAU LAFITE 1844 (*****) (rebouché en 1983)
Couleur rouge-noir assez sombre.
L’amplitude des arômes est impressionnante.
On ressent des fruits noirs bien mûrs comme la cerise, la myrtille et la mûre.
Des notes de réglisse et de bois doux s’y rajoutent.
Il reste parfaitement élégant même s’il est plus expansif et monumental
que le 1858.
Le vin, d’une structure énorme, est très volumineux avec un gras qui arrondit
toutes les fantastiques composantes.
Acidité et tannins sont bien présents, mais ils sont noyés dans la chair du fruit.
La tenue est extraordinaire: il semble n’avoir encore subi aucun effet négatif
du vieillissement.
Ce Lafite 1844 est charpenté et opulent, tout en restant harmonieux.
BEAUNE GREVES VIGNE DE L’ENFANT JESUS 1865
DOMAINE BOUCHARD PERE & FILS (*****)
Resplendissante couleur rouge dense.
Les arômes qui se dégagent sans retenue du verre expriment la noblesse
même des grands terroirs de Bourgogne.
Au plantureux fruit noir se mêlent sans ostentation des notes de fourrure
fine et de terre “juste remuée”.
La race et le caractère marquant de ce vin ne l’empêchent pas d’être
merveilleusement charmeur et vivant.
La bouche est une vague fruitée d’une extrême onctuosité. Le palais reste
très longtemps impressionné par la richesse et la densité du fruit.
Même après une heure d’ouverture, il reste impérial à tous les niveaux.
On est sidéré par tant de jeunesse: à l’aveugle, on se tromperait aisément
de 120 ans sur son âge.
CHATEAU LA TOUR BLANCHE 1869 (*****) (bouchon d’origine)
La couleur est d’un ambre très sombre qui tire sur le noir. Les arômes sont
très denses, fins et complexes. On y retrouve des fruits très confits mêlés à
des notes de thé noir, de sucre brûlé, de figue fraîche, d’écorce d’orange et
de raisin de Corinthe. L’extrême sucrosité du vin est équilibrée par une
acidité quasi affolante pour les papilles. Toutes les perceptions olfactives
se retrouvent dans les sensations gustatives avec une intensité fantastique.
La longueur est extrême.C’est un petit frère du gigantesque Yquem du même
millésime.
Un papier portant l’écriture manuscrite “Latour Blanche 1869” était protégé
par une sorte de plastique accroché au goulot. A noter le “Latour” en un mot,
alors que le Château écrit “La Tour”. On a dû ainsi chercher à compenser
l’étiquette originale devenue illisible et qui semble apparaître entre le plastique
et une étiquette à fond blanc. Sur celle-ci, on peut lire “L Mortier de Château
Lafite”. Il s’agit certainement du négociant bordelais Jj Mortier dont la maison
fut fondée en 1889 par Louis Mortier, alors directeur de Château Lafite-Rothschild.
VIN DE CHYPRE 1841 (****)
Les arômes font fortement penser à un Madeira ancien.
On y sent toutes sortes d’épices accompagnées par des notes
d’encaustique et de caramel.
Une touche d’acétone s’y mêle.
La force qui s’en dégage est monumentale.
Le vin est concentré au possible.
L’alcool très élevé renforce les goûts et les arômes.
Il est heureusement “arrondi” par un énorme glycérol qui semble aussi
remplacer le sucre pressenti à l’olfaction.
L’interminable finale est résolument poivrée.
CONCLUSIONS
– Une telle dégustation confirme le fait que les crus anciens bien conservés et de bonne naissance
sont des merveilles. Tout palais exercé et honnête ne peut que s’enthousiasmer devant ces vins.
– Quelques crus présentés méritent que l’on y revienne:
– L’extraordinaire Fleurie 1929 met en doute les idées reçues sur le Gamay. Les Bourguignons de
la Côte d’Or ont raison de s’intéresser de manière plus sérieuse à leur “petit frère” du sud de
l’appellation: tous les Beaujolais âgés de plus de 50 ans bien tenus que j’ai dégustés peuvent
être confondus à l’aveugle avec un cru de la Côte de Nuits.
– Les deux Lafite 1858 et 1844 étaient grandioses. Vouloir les comparer à des millésimes du
20ème siècle me semble périlleux. Lafite garde son style distinctif depuis plus de 200 ans, mais
je crois que les millésimes pré-phylloxériques sont difficilement assimilables aux suivants.
La densité incroyable qu’ils atteignent, et même leur richesse, n’empêchent pas le vin d’être
comme “léger” à boire. C’est peut-être sur ce point que réside la plus grande différence avec
les vins du 20ème siècle. S’y rajoute le fait que les millésimes pré-phylloxériques laissent
totalement désorienté l’amateur qui cherche à leur donner un âge: ils sont intemporels.
– Yquem, qui demeure la référence pour le Sauternes, trouve toujours sur un millésime ou
l’autre un sérieux concurrent: le 1869 de La Tour Blanche, du même style, le démontre bien.
– Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus est issu de l’exceptionnelle récolte de 1865 qui
était très mûre et concentrée. Cette année mythique a légué un vin-culte pour de nombreuses
générations. C’est bien entendu celui que je retiendrai de cette soirée car c’est le fleuron que
je rêvais (avec peu d’espoir) de déguster depuis de nombreuses années.
Ce fameux cru porte ce nom suite à une prédiction faite par la carmélite
Marguerite du St Sacrement.
Elle avait annoncé la grossesse d’Anne d’Autriche, donnée pour stérile,
future mère de Louis XIV. Cette religieuse mystique (Marguerite Parigot)
de Beaune (1619 – 1648) affirmait recevoir ses prédictions de l’Enfant
Jésus lui-même.
La vigne de Beaune Grèves appartenant alors à sa Congrégation prit ainsi
le nom de “Vigne de l’Enfant Jésus”.
La Maison Bouchard Père & Fils l’acquit en 1791.
Je tiens à remercier et à féliciter la Maison Bouchard Père & Fils
pour son accueil et son organisation: tout était parfait.